Depuis quelques temps hors des temps, la perte et l’abandon que j’avais toujours tenus en laisse se sont jetés sur moi avec une cruauté inouïe. J’étais littéralement coupé en deux, roué de coups, démantelé, fracassé, humilié, seul, loin de moi au fond de ma geôle ! Une abstinence émotionnelle nourrie par un rejet de l’univers ordinaire. Je suis resté dans cet état, sans pouvoir ni vouloir ressentir quoi que ce soit. Je m’infligeais une violence supplémentaire en muselant mes impressions sans les faire disparaître. Curieusement, j’accueillais la souffrance pour me torturer et pour qu’elle me persécute davantage comme si je lui devais quelque chose. Je figeais mes émotions dans une mélancolie continue. Une partie de moi enregistrait inéluctablement, tandis que l’autre devenait bloc.
Je suis devenu sarcastique, irrité, irritant, agressif, méfiant avec une idée fixe : ne plus jamais me faire arnaquer ! Ce sont ces colères et ces rejets qui m’ont permis d’encaisser le choc, le temps de souffler et de reprendre mes esprits. Une fois la douleur acceptée, il a fallu que je lui donne un sens pour essayer d’en prendre la mesure, me demander pourquoi je m’étais autant perdu et pourquoi la perte me semblait aussi insupportable ? Aujourd’hui, je dois garder à l’esprit que l’estime de soi, lieu par excellence des émotions les plus intenses, implique nécessairement une prise de risque ! Alors, muni du maillet et du ciseau, je me suis remis sur l’ouvrage avec détermination…
« Combien faut-il d’œuvres d’art pour mettre la beauté dans le monde ? » disait Michel-Ange !
Savall d’Arvo